CHAPITRE XVI

— Vive Djarkaz… Vive Djarkaz !…

Le cri immense montait de la ville surexcitée et roulait en échos sonores jusqu’à l’immense terrasse du centre biologique où étaient groupés Terriens et Algoriens.

Une foule nombreuse circulait dans les rues ensoleillées, alors que, du haut des tours ceinturant le palais impérial, des esclaves frappaient sur des gongs de cuivre, mêlant le vacarme au vacarme.

— Vive Djarkaz !…

La nouvelle s’était répandue comme une traînée de poudre et Tianak, dressant dans les rayons du soleil rouge sa longue silhouette cardinalesque, semblait sous l’emprise d’une profonde méditation.

En cette heure solennelle, l’illumination chassait l’Hérésie !

Le nouveau Djarkaz venait de confesser ses fautes et ses erreurs, et, en ce moment, il se tenait dans le temple de Zhoustra, implorant la miséricorde et le pardon du dieu de la Justice.

La nouvelle avait éclaté comme une bombe.

En effet, tout semblait marcher parfaitement, grâce à l’induction psychique exercée sur l’esprit du nouveau Djarkaz.

Ce dernier s’éveillant à la vie, sous l’emprise des ondes-pensées savamment dirigées par Tianak durant son sommeil, avait été la proie d’une crise de conscience, et le remords l’avait conduit au temple de Zhoustra.

Mais, pour Tianak, Djarkaz restait Djarkaz et il voulait bien oublier désormais celui que l’on avait poignardé dans son lit et jeté ensuite dans une fosse profonde.

Il y avait Djarkaz, Maître Tout-Puissant d’Algor, et rien de plus. La vie continuait…

La délégation wegorienne avait pris contact avec Algor, une réception était organisée en son honneur, mais Djarkaz, d’ici à une heure ou deux, ferait alors son apparition et dénoncerait publiquement les accords coupables engagés entre les deux races.

Et vive Djarkaz ! ! !

C’est ainsi que les événements s’enchaînaient. Une autre nouvelle circulait de bouche en bouche : Djarkaz renonçait à poursuivre les Terriens de sa colère et de sa haine, il les graciait, les absolvait, les invitant à sortir de leur refuge, quel qu’il fût, et demandait même à ce qu’ils se présentent au Palais dans les plus brefs délais.

— Ouais ! pour nous couper la tête, ronchonna O’Connor en se frottant le cou… Je n’ai pas confiance, commandant.

Mais Seymour eut un sourire.

— Il n’y a aucune crainte. La loi de Zhoustra nous protège.

— Zhoustra ! Vous y croyez ?

— Pas moi…, mais lui !

— Vous pouvez vous rendre au Palais en toute sécurité, appuya Tianak en les rejoignant. Notre Djarkaz est un symbole de loyauté.

— Et si on nous coupe la tête ?

Ce fut au tour de Tianak de sourire.

— Et quand bien même ?

— Ah ! par Zhoustra, vous en avez de bonnes !

Aucune tête, ce jour-là, ne devait tomber sous le couperet, et c’est dans l’allégresse générale que les Terriens devaient faire leur entrée dans le Palais impérial.

Djarkaz, sortant du temple de Zhoustra, accueillit lui-même les « hommes de la Terre » et sa bouche gourmande et capricieuse s’étira d’un bon sourire.

— Je rends grâce à votre confiance, dit-il. Oublions nos malentendus et acceptez mes excuses. L’achat d’une esclave ne pourrait être un sujet de discorde entre nous, du moment que vous ignoriez la Loi.

Il s’exprimait avec douceur, mais conservait les mêmes attitudes nobles et sereines de son modèle, sa dureté même, que l’on devinait dans ses yeux de braise. Dans le fond, c’était le même homme : Djarkazrestait Djarkaz !

Il désigna les grandes portes donnant sur la salle du trône et confia :

— Le secret diplomatique m’empêche de vous en donner les raisons, mais des envoyés de Wegor sont là, à m’attendre, et leurs intentions sont plutôt malveillantes. Je vous prie d’assister à l’entretien.

Il leva la main.

Oh !… Le mot est peut-être exagéré, car il ne suffira que d’une réponse de ma part. Venez !

— Est-ce bien utile ? demanda Seymour en jouant l’étonnement.

— Vous comprendrez plus tard.

Les portes s’ouvrirent, des trompettes sonnèrent et Djarkaz, suivi des Terriens, fit son entrée dans la grande salle richement pavoisée.

Des baillis, des prévôts s’inclinèrent, alors que, devant le trône impérial, se tenaient groupés les envoyés de Wegor. C’étaient des créatures de grande taille, au visage typiquement humain, dont les combinaisons spatiales, souples et légères, scintillaient dans l’éclairage des lampes et des torches.

Une immense stupéfaction se peignit sur leurs traits en découvrant les Terriens auprès de Djarkaz, et Seymour devina facilement leur secrète colère.

Effectivement, un vent de malaise balaya l’assistance, mais il fut de courte durée, car le satrape, sans même daigner prendre place sur le siège impérial, s’avança dignement vers les plénipotentiaires.

— C’est avec désolation que je vous reçois aujourd’hui, amis de Wegor, formula-t-il, mais les lois de ce monde sont sacrées et irréversibles. Et la Justice réclame aussi la réflexion. Et la réflexion m’ordonne de ne point donner suite à nos accords… J’en suis navré dans mon âme et dans ma chair, mais je me vois dans l’obligation de vous demander de quitter Algor dans les plus brefs délais. J’ai dit !

— Seigneur…

Ce fut la seule et unique tentative de la part des Wegoriens. Le geste de Djarkaz ne leur permit pas un mot de plus.

Il y eut une lourde seconde de silence, puis, sur l’ordre de l’un d’eux, les Wegoriens reculèrent et quittèrent la salle d’un pas rageur et précipité.

En un clin d’œil, la salle se vida dans un silence total et, alors que les lourdes portes se refermaient, le Tout-Puissant se tourna vers les Terriens.

— Il revient à ma mémoire de vous avoir déjà dit qu’il convenait d’effacer l’Erreur pour la réparer. La présence de ces créatures en notre monde était une erreur, car la loi d’Algor est formelle à ce sujet. Mais la loi d’Algor s’applique également à vos personnes. Algor se plaît et s’honore dans son isolement, car nous n’espérons aucun bienfait de la part des autres mondes, le vôtre compris. Bien au contraire. Est-ce assez clair ?

Seymour s’inclina.

— Ça ne l’est que trop, seigneur.

— Vous aviez, je crois, des difficultés avec votre vaisseau ?

— Nous les avons encore.

— Pour combien de temps ?

— Quelques jours.

— Je crois pourtant savoir que votre vaisseau est en orbite.

— Il l’est, mais les essais ont été perturbés par vos champs de force, seigneur, et de nouvelles réparations s’imposent.

Djarkaz resta de marbre. C’est à peine si sa tête s’inclina légèrement.

— En effet, dit-il, je comprends. Mais sachez que, dorénavant, personne ne vous attirera le moindre ennui. La bienséance exige que vous restiez sur ce monde jusqu’à ce que vous soyez en état de reprendre votre route. Mais je vous prie de me faire la grâce de ne point abuser.

C’était net et sans bavure. Les Terriens ne jugèrent pas utile d’insister et se retirèrent, convaincus toutefois d’avoir fait tout ce qui était en leur pouvoir. Les accords avec les Wegoriens avaient été rejetés, annulés, ce qui ne pouvait que retarder considérablement le projet d’invasion imaginé par cette race redoutable.

Certes, le danger demeurait, mais cela donnait toutefois à Seymour et à ses compagnons le temps nécessaire pour rallier la Confédération et donner l’alerte.

***

 

Seymour était inquiet, inquiet d’autant plus que les nouvelles dispositions prises par Djarkaz interdisaient momentanément toute interruption des champs de force.

Il était donc impossible de compter sur la navette pour rejoindre l’Aristote, comme on l’avait espéré, ce qui aurait pu permettre d’activer les travaux et de gagner un temps précieux.

Et tout cela encore en vertu de l’impitoyable loi d’Algor dont le nouveau Djarkaz s’était fait l’irréductible serviteur.

En effet, les astrologues du Palais venaient en ce jour de grâce d’apporter leur accord définitif au sujet du mariage entre Djarkaz et la princesse Lorka de Tarkanie, et la loi d’Algor interdisait justement tout relâchement de cette force protectrice et « divine », tant que dureraient les « fêtes nuptiales ».

Il en allait de huit jours, et Tianak l’avoua lui-même au grand désarroi des Terriens.

— Mais pourquoi n’avoir pas prévu cela ? bougonna O’Connor. Il était facile d’influencer Djarkaz tant que vous le teniez sous votre emprise.

— Nous ne pouvions pas aller à l’encontre des astrologues. Leurs décisions sont sacrées.

— Alors, nous interviendrons nous-mêmes auprès de Djarkaz, répliqua Seymour.

— C’est inutile, et je ne vous le conseille pas.

Les sombres paroles de Tianak ne faisaient que traduire l’évidence. On avait ramené Djarkaz aux principes de Zhoustra, et Djarkaz en respectait la loi. On ne pouvait que subir la volonté du Tout-Puissant. Ni dans un sens ni dans un autre on ne pouvait faire machine arrière.

Il fallut donc accepter cet état de chose et patienter. Les jours coulèrent dans leur monotonie habituelle, alors que, dans la ville, s’effectuaient les préparatifs nuptiaux.

Les rues étaient ornées de banderoles, de fanions, de guirlandes qui traduisaient la joie de tout le peuple. Les places étaient pavoisées, fleuries de toutes parts, et les réceptions s’organisaient un peu partout, avec des défilés en grande pompe de la garde noire montée sur des kworks harnachés de cinabre et de marcassite.

Ces parades grandioses préludaient aux cérémonies nuptiales qu’on désirait d’un éclat jamais atteint, tandis qu’aux piétinements contenus à grand-peine s’ajoutait le frisson métallique des armes donnant à ce défilé quelque chose d’imposant, pour ne pas dire de fantastique.

Les casques, les boucliers, les arcs dorés, les glaives d’airain et les corselets papelonnés d’écailles flamboyaient sous les rayons de l’astre rouge comme une coulée de métal en fusion.

Une vie étrange et fantastique animait les places, entre les pylônes démesurés, les obélisques ressemblant à des tours et les forêts granitiques se prolongeant jusqu’au Palais impérial dont les murs enguirlandés laissaient entrevoir les masques souriants de divinités mégacéphales ou de quelques autres chimères taillées dans le basalte ou le porphyre.

C’était à la fois grandiose et majestueux, mais le temps qui coulait ne faisait qu’accroître, hélas ! l’impatience des Terriens.

La loi d'Algor
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